Je reprends un communiqué de la ligue ODEBI qui souligne très bien les dangers en matière numérique que représente Nicolas Sarkozy s'il est élu, ainsi que la position de Sègolène Royal sur le sujet.



Parce que s'informer doit rester une liberté, et qu'informer est un devoir, parce qu'un choix de société de l'information est aujourd'hui un choix de société fondamental, il est important de consacrer quelques instants à comprendre l'essentiel de ce qui différencie les deux candidats du second tour en matière d'internet: l'un a son bilan, l'autre a fait connaître ses engagements. Tout le monde peut et doit comprendre : il n'est pas nécessaire d'être un spécialiste des nouvelles technologies pour défendre la liberté d'expression et d'information, ou le respect au droit de la vie privée.

Nous avons récemment publié le bilan "internet et libertés" du quinquennat et de ses lois (LCEN, LIL, DADVSI, LCT, LPD), mettant en évidence une succession d'atteintes aux droits et libertés sur internet, et proposé aux candidats de réagir.

Explication de l'essentiel des problèmes, et réponses que nous a apportées Ségolène Royal, point par point:

Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN)

  • Cette loi impose aux intermédiaires techniques du Net de juger et censurer les contenus publiés. Exemple : je m'exprime sur mon blog. Une personne ou une société estime que ce que je dis est illicite : elle s'adresse à mon hébergeur, et celui-ci doit décider si ce que je dis est illicite ou non, et, le cas échéant, censurer mon blog. Cette loi impose aux hébergeurs de se substituer au juge. C'est une privatisation de fait de la justice en matière de liberté d'expression.
  • Position de S.Royal:"Ne demandons pas aux intermédiaires techniques d’assumer des responsabilités qui relèvent des services de police ou de l’autorité judiciaire."

  • Cette loi limite par principe à son article 1 la liberté de communication sur internet par les intérêts économiques des industries audiovisuelles.
  • Position de S.Royal:"Je m’engage a procéder à un réexamen de la LCEN afin d’en supprimer les dispositions contraires à la liberté de communication."

    La LCEN permet aussi aux juges de demander le filtrage du net aux fournisseurs d'accès à internet. L'idée est la suivante : si un contenu illicite est hébergé en France, le juge peut demander la suppression de ce contenu. En revanche, si ce contenu est hébergé sur un serveur à l'étranger, par exemple aux Etats-unis, le juge ne peut rien imposer à l'hébergeur. La LCEN prévoit donc dans ce cas que le juge peut demander aux FAI de filtrer les contenus hébergés à l'étranger, de façon à ce que les français ne puissent tout simplement pas les voir. Exemple : Une association de défense de l'environnement appelle à boycotter un groupe pétrolier particulier à la suite d'une marée noire. Ce type d'appel au boycott est interdit en France. Il est donc possible de demander aux FAI d'empêcher les internautes français d'accéder à un site étranger appelant -en toute légalité- à ce boycott. Les internautes français ne peuvent donc tout simplement plus dans ce cas s'informer de ce qui se passe -légalement- à l'étranger. Par ailleurs, aucune démocratie ne filtre son internet, seuls des pays comme la Chine le font.

    Position de S.Royal:"La majorité UMP a ajouté des mesures de filtrage qui ne figurent pas dans la directive.Le filtrage du contenu n’est ni souhaitable, ni réaliste. "

Loi informatique et libertés(LIL)

  • En France, la Loi de 78 et la CNIL protégeaient les données personnelles :seules les autorités publiques pouvaient procéder à la création de fichiers d'infractions. Cette loi dérangeait les industries audiovisuelles qui souhaitaient pouvoir faire appel à des officines privées pour traquer les internautes soupçonnés de "piratage", et a donc été modifiée: ces opérations de polices sont désormais réalisables en toute légalité par des sociétés privées. Il s'agit donc d'une véritable privatisation des opérations de police sur internet.
  • Position de S.Royal:"Il faudra revenir sur ces dispositions qui aboutissent à transmettre l’exécution pratique de pouvoirs de police ou de caractère judiciaire à des acteurs privés."

"Logs" de connexion (LCEN, LCT)

  • Comme pour la téléphonie, à chaque fois qu'on se connecte au net, les opérateurs enregistrent, pour des raisons techniques ou de facturation, des données relatives à cette connexion (lieu, heure, etc.). Pour protéger la vie privée, ils devaient donc effacer ces données rapidement. Au prétexte de la lutte anti-terrorisme, ils "devraient" dorénavant conserver toutes ces données pendant un an et les services de police devraient y accéder sans même avoir à demander quoi que ce soit à un juge. Résultat : c'est l'ensemble des internautes français qui est "sur écoute". Chaque action sur internet (sur quel site on va, à quelle heure, depuis quelle machine, à qui on envoie des mails, de qui on en reçoit...) "serait" désormais fichée et accessible par la police, les renseignements généraux, etc.
  • Pourquoi "serait" ? Parce qu'au delà des effets médiatiques des lois anti-terroriste, le décret d'application n'a jamais été publié par le gouvernement. Donc soit ces logs de connexion sont vraiment indispensables à la sécurité des français, et dans ce cas les gouvernants ont démontré qu'ils n'étaient pas capables d'agir pour l'assurer, soit ces logs de connexion ne sont pas indispensables, et ne peuvent s'expliquer que par la volonté d'instaurer une société de surveillance.

    Imaginez en plus qu'une erreur se glisse dans ces fichiers, ou que votre pc soit piraté et utilisé comme relais à votre insu. Et imaginez, au hasard, que vous vous retrouviez de ce fait impliqué dans une affaire de terrorisme ou de pédophilie...

    Position de S.Royal:"La lutte contre le terrorisme et le crime en général - un impératif que je partage - ne justifie pas de faire de la société française une société de surveillance."

Loi droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (DADVSI)

  • Cette loi a autorisé les "DRM", c'est à dire les dispositifs de contrôle placés sur les oeuvres, comme les CD audios ou les DVD. Il est désormais interdit de contourner ces DRM, même s'il sagit de pouvoir effectuer une copie privée (les français paient pour cela une taxe sur les supports numériques vierges, qui est reversée en particulier aux artistes), de pouvoir lire l'oeuvre achetée sur le lecteur de son choix ("interopérabilité") ou encore de protéger sa vie privée ou sa sécurité informatique, en pratique menacées par certains de ces dispositifs.
  • Cette loi a aussi -fait unique pour une démocratie- interdit des logiciels, au prétexte qu'ils seraient "destinés" au "piratage". Un logiciel n'a pas de destination, il n'est qu'utilisé d'une manière ou d'une autre, exactement comme un langage informatique ou une langue. Interdirait-on la langue française au prétexte qu'elle serait "destinée" à insulter autrui?
  • Position de S.Royal:"Il faudra réexaminer la DADVSI. Supprimer les dispositions inutilement répressives ou restrictives, préciser que la protection juridique des mesures techniques ne s’applique pas lorsque leur contournement est nécessaire pour des usages légaux. Et rendre effectives les exceptions pour les handicapés, la recherche, l’enseignement, et la citation pour les besoins de l’information et de la critique."

Projet de création d'une commision de déontologie du net (CND) et labellisation des sites d'information

  • Un décret en préparation prévoit de créer une commission de déontologie du net, qui aurait le pouvoir d'accorder des labels aux sites. Le projet de décret met en avant le prétexte de la protection de l'enfance : en réalité son domaine d'action est illimité et ne concernera pas que la protection de l'enfance. En parallèle, un rapport commandé par le ministère de la culture prévoit justement de "labelliser" les sites d'information : il y aurait donc des bons sites d'information et des mauvais sites d'information. Le rapport préconise même d'utiliser ces "labels presse" dans les établissements scolaires à des fins d'éducation au sens critique.
  • Position de S.Royal:"A l’exception d’un label « protection de l’enfance », j’écarte toute perspective de labellisation des sites d’information par des organismes de l’Etat."

Loi pour la prévention de la délinquance (LPD) et prohibition de la diffusion de vidéos de bavures policières

  • Au prétexte de la lutte contre le phénomène du happy slapping, la LPD a interdit la simple diffusion sur internet de vidéos démontrant des agressions, y compris, en particulier, s'il s'agit d'agressions à caractère racial ou homophobe, ou de bavures policières. Une telle diffusion par quiconque ne serait pas un "professionnel de l'information" pourrait coûter cinq ans de prison, même si celui qui diffuse n'a strictement aucun lien avec les faits.
  • Position de S.Royal:"L’amendement à la loi du 13 février 2007 sur la prévention de la délinquance visant le phénomène du “happy slapping” est un bon exemple de législation bâclée, rédigée dans l’improvisation et pour afficher une posture de fermeté. L’impact juridique réel de cette disposition est controversé. Si, comme le pensent de nombreux juristes, cette disposition législative interdit aux non-journalistes de diffuser des vidéos ou des photos montrant des violences sur personne, même si ces actes sont commis par les forces de police, elle devra être revue."

Trop peu sont ceux, y compris parmi les responsables politiques, qui ont appréhendé la dimension véritablement copernicienne de la révolution internet. Internet offre à chacun de pouvoir s'exprimer et être entendu par tous, il abolit les distances et rapproche les hommes, leur permet de débattre , de dialoguer, il leur permet de s'informer, et d'informer. Il permet de diversifier l'information et d'échapper à une information auparavant contrôlée et diffusée par les grands médias. Il permet au citoyen de s'impliquer dans la vie de la cité, de suivre en temps réel l'élaboration des lois, et d'interagir avec le législateur qui désormais entend ou écoute ce que disent les internautes. Il permet à tous de participer à la vie démocratique.

Faudrait-il que ces avancées soit sacrifiées sous la pression d'intérêts économiques particuliers? Que la diffusion de l'information y soit aussi contrôlée, parce que cela permettrait de faciliter l'accès ou le maintien au pouvoir? Faudrait-il qu'internet devienne un outil de surveillance de masse comme jamais l'humanité n'en a connu?

Vouloir brider la mère de toutes les libertés: la liberté d'expression de l'homme, sa parole, ce n'est même pas aller contre le sens de l'histoire, c'est tenter de lutter contre la puissance de l'évolution.

P.Cohet